Je souhaitais revenir sur la question de l'influence de la presse ou des médias en général. La campagne présidentielle qui vient de s'achever a donné lieu à l'expression de multiples fantasmes et quelquefois, à des préoccupations réelles.
Côté fantasme, la liste est longue. Elle commence avec le concours de mauvaise foi sur "l'affaire Duhamel". Elle se poursuit avec l'attaque en règle de François Bayrou à l'adresse des médias qui favoriseraient l'exposition des candidats du PS et de l'UMP. Jusque là, pourquoi pas, mais cela se corse lorsque le candidat centriste se pose en candidat anti-système et qu'il lie la puissance des dits médias avec les "puissances de l'argent". Une dialectique étrange dans la bouche d'un candidat centriste, mais passons. L'exercice de style a - malheureusement - fonctionné, car la critique acerbe des médias qu'il a imposé dans la campagne l'a aussi imposé comme 3e homme. Le même François Bayrou, une fois sous les projecteurs, n'a pas redonné de la voix sur ces problèmes, pourtant non résolus.
La collusion entre médias et politiques se réinvite ensuite dans la campagne avec les rumeurs de menaces de Nicolas Sarkozy sur certains journalistes. Le PS en fait ses choux gras et alimente ses effets d'estrade sur la proximité personnelle du candidat de la droite avec les patrons des groupes de médias français. Les raccourcis sont aisés : si Nicolas Sarkozy est un ami de Martin Bouygues, d'Arnaud Lagardère et de Dassault, c'est simple, tout ce qui pourra être écrit ou dit sur TF1, dans Paris-Match ou le Figaro sera suspect, voire même considéré en fin de campagne comme un "tract" à la solde du candidat de l'UMP.
Quelques épisodes sont bien-sûr troublants, comme la colère de Nicolas Sarkozy dans les locaux de France 3 par exemple. Ou comme certaines émissions de TF1 (hors JT) sur les gaspillages de l'Etat qui m'ont semblé d'une démagogie caricaturale. Cela dit, que Le Figaro penche pour le candidat de la droite ne me choque pas. Leurs lecteurs se sentent sûrement en affinité avec cette ligne, comme ceux de Libération attendaient sans doute une inclination pour la campagne de la candidate socialiste. Quant aux JT, le 21 avril et la campagne référendaire ont sans nul doute eu une influence sur le traitement de la campagne. Je les ai trouvés plutôt balancés. Rien à voir avec le déchaînement sécuritaire de 2002. Enfin, si l'on doit prendre un journal de référence, Le Monde a penché pour Ségolène Royal et Alain Minc battait le rappel pour Nicolas Sarkozy. L'indépendance de la rédaction a semblé robuste.
Alors tout de même, cette collusion, existe-t-il une part de réalité ? Dans la série des questions souvent abordées sur les médias dans le débat public, la concentration m'a toujours semblé un faux débat. L'indépendance d'un journal me paraît davantage garantie lorsqu'il s'appuie sur un groupe, solide financièrement et capable d'absorber les difficultés conjoncturelles sur le marché publicitaire. Les médias sont une activité gourmande en coûts fixes et relativement risquée. La présence de gros acteurs sur ces marchés n'est pas une aberration économique. Leur solidité peut être même le garant de leur liberté éditoriale. Le doute ici me paraît lié aux autres activités de nos grands groupes de médias français. Les plus importants d'entre eux vivent aussi de commandes publiques. Le débat est archi-connu, mais a-t-on vraiment avancé sur le sujet ? Il est difficile de prouver qu'il existe une influence réelle entre ces activités. Les exemples existent mais nous n'avons pas vu encore celui qui aura été suffisamment scandaleux pour inciter les pouvoirs publics à légiférer sur la séparation de ces activités, médiatiques d'un côté, liées à la commande publique de l'autre. A mon sens, la croissance du doute sur la qualité des contenus et la suspicion sur le travail des journalistes ne sont pas des bases saines pour rebatir ce que nous appelons de nos voeux : un paysage médiatique dynamique, ouvert et pluriel. Peut-être le doute seul suffit-il pour légiférer ? Si une réforme allait en ce sens (ce qui n'a pas l'air d'être dans les priorités de notre nouveau Président de la République, mais admettons), je serai plutôt pour. Et vous ?
Sur quoi vous appuyez-vous pour dire que "Le Monde" a penché pour Ségolène Royal?
J'ai au contraire eu le sentiment que ce journal a bien fait son boulot. Un exemple: dans les dernières semaines il a beacoup parlé des anti-sarko, décrits comme des "Le Pen de gauche". J'ai eu le sentiment que ce message, visant à décridibiliser toute personne critiquant Sarkozy (et le critiquant, justement, en raison de la lepénisation de son discours) était repris largement, dans le Point, bien sûr, mais aussi sur les radios généralistes, et, également, au "Monde".
Et ce n'est qu'un exemple.
C'est pourquoi j'estime que les médias ont fortement pesé sur l'élection. Même si, bien sûr, les médias sont avant tout le relfet de la société et véhiculent les idées dominantes dans la société.
Rédigé par : Eric | mai 10, 2007 à 01:44 PM
Comme souvent avec le Monde, c'était "entre les lignes"... Je pense notamment à l'édito de Colombani avant le 1er tour. Alain Minc lui-même arguait de l'indépendance du journal en disant sur tous les plateaux de tv qu'il était pour Sarkozy alors que la rédaction penchait pour Royal.
C'est intéressant quand tu écris "ce journal a bien fait son boulot". On attend d'un journal, lorsqu'il ne se positionne pas ouvertement comme média d'opinion, d'être parfaitement objectif. En général, sur chaque sujet, chaque "partie" surveille les mots écrits par les journalistes à la loupe en les suspectant d'être biaisés. L'exercice est tellement hasardeux qu'on peut se demander quelquefois si davantage de transparence sur les opinions ne seraient pas plus avantageuses pour le lecteur et pour le titre. Au moins on saurait à quoi s'en tenir !
Qu'en penses-tu ? J'avoue bien aimer l'idée sur le papier, mais n'arrive pas à voir comment rendre la démarche opérationnelle sans qu'elle devienne une usine à gaz ou pire une chasse aux sorcières généralisée.
Rédigé par : Danielle | mai 11, 2007 à 09:20 AM
"les rumeurs de menaces sur les journalistes"
=> Dans En Apparté cette semaine , L. Joffrin a expliqué comment NS appelait son actionnaire et JF Kahn a raconté comment NS a fait pression sur les personnes qui lui ont prêté de l'argent pour relancer Marianne.
Rédigé par : TVnomics | mai 11, 2007 à 10:23 AM
Quand j'écris "ce journal a bien fait son boulot", c'est ironique et ça me place dans le camp des paranos.
Je pense qu'il y a clairement eu un dispositif, dont les noms les plus connus sont FOG, Elkabach, Apathie, Colombani/Minc, dont le but était de faire de la propagande pro Sarkozy. Il n'y a qu'à compter le nombre de couverture de newsmagazine: Sarkozy a été surexposé et souvent à son avantage (http://www.politiquecafe.com/voix-de-la-pravda/)
Que le Figaro se transforme en pravda de droite, c'est normal, et c'est même risible. Mais les médias dans leur ensemble ont montré peut de résistance au conformisme.
Et j'ai, personnellement, senti un vrai tournant à partir du 14 janvier, date de début de la campagne de Sarkozy (où le Journal du dimanche a titré "ça commence"). A partir de ce jour là, Ségolène Royal a cessé d'apparaître comme une candidate intéressante et originale pour devenir une "potiche" à abattre.
Pour autant, je ne pense pas qu'il faille y voir un "complot". C'est plutôt que les idées véhiculées par la droite sont dominantes actuellement. Victoire logique, donc.
Rédigé par : Eric | mai 11, 2007 à 11:52 AM
Je comprends et partage quelquefois l'agacement. Que penser alors de la couverture - à mon sens avantageuse - qu'a eu Ségolène Royal pendant les primaires au PS ? Les rédactions qu'on accuse souvent d'être majoritairement de gauche sont-elles devenues de droite en quelques mois ? Que penser aussi de la couverture du référendum sur la constitution européenne ? Si les médias "faisaient" le scrutin, beaucoup l'ont dit, le "oui" l'aurait emporté...
Rédigé par : Danielle | mai 11, 2007 à 02:59 PM
Bonjour Danielle,
Véhiculée par l'audience, les médias sont bien sûrs le relais des idées dominantes comme le rappelle fort justement Eric et l'influence s'arrête comme tu le rappelles si elle ne suit pas ces idées, ce que tu démontres avec le scrutin sur l'Europe. Episode qui n'a d'ailleurs pas laissé la presse indemne. Pour le cas NS, tu as juste omis un fait patent, c'est aussi l'efficacité de sa cellule de com' qui certes bénéficie de relais amicaux parmi les grands patrons de presse, mais qui a super bien fait son boulot pour transformer NS en médiacteur...Par ailleurs, sur la concentration, je reconnais là les thèses économiques actuellement en vogue sur les consolidations et effet de masse. Au vu des modèles économiques que tu connais bien mieux que moi, il est aujourd'hui illusoire qu'un grand groupe média puisse rester "indépendant" malgré une assise financière solide. les médias sont pour l'essentiel constituées de business unit, même et surtout dans un groupe, et chacune répond à ses impératifs de rentabilité. Certes Rupert Murdoch possède un groupe "indépendant"...maintenant ce qu'il en fait et véhicule..Sans rappeler Hersant il n'y a pas si longtemps.
Quand à légiférer sur le mélange des genres, difficile de lutter contre trois siècles d'histoire, a fortiori dans un pays où la commande publique a pris une part aussi importante.
Rédigé par : Fabrice | mai 11, 2007 à 05:45 PM
Bonjour Fabrice !
Je suis complètement d'accord sur l'efficacité implacable de la com de NS.
Sur "l'indépendance" des groupes de média, l'exemple de Murdoch n'est pas franchement réjouissant, je te l'accorde volontiers. Si je peux me permettre un autre exemple, d'après ce que raconte Christophe Barbier, le PDG de Roularta n'a pas influencé son traitement des présidentielles. Tant que L'Express se vend, est rentable, la rédaction ne se fait pas envahir par des auditeurs chargés de leur rappeler qu'ils doivent toucher plus de lecteurs.
La question sous-jacente est de savoir définir un niveau de rentabilité des titres qui soit raisonnable. Autre débat ?
Rédigé par : Danielle | mai 11, 2007 à 06:45 PM
"Que penser alors de la couverture - à mon sens avantageuse - qu'a eu Ségolène Royal pendant les primaires au PS ? Les rédactions qu'on accuse souvent d'être majoritairement de gauche sont-elles devenues de droite en quelques mois ?"
Les rédactions du Point, du Figaro ou de Paris Match sont sans doute de gauche, mais ça ne se voit pas!
Oui, Royal a bénéficié d'une presse avantageuse, mais ça s'est sacrément inversé dès janvier.
Il ne faut pas exclure qu'elle ait fait des erreurs.
Et si on veut, jusqu'au bout, poursuivre l'hypothèse paranoïaque, on peut dire qu'il était dans l'intérêt de Sarkozy d'avoir en face de lui Royal plutôt que Jospin, DSK ou Hollande: l'UMP disait ouvertement à l'époque que se serait du gâteau contre cette adversaire. Et ça s'est vérifié. Alain Duhamel avait raison, pour une fois?
Mais ça, c'est une hypothèse parano. En fait, si les médias ont largement exposé Royal, c'est sans doute que les ventes ont suivi.
Mettre un homme politique en couverture, ce n'est pas toujours l'assurance de bons tirages. Sauf lorsque c'est Sarkozy, voire Royal. Bayrou s'est retrouvé en Une de quelques journaux, mais c'était exceptionnel pour lui.
Rédigé par : Eric | mai 12, 2007 à 09:28 AM
Quel journaliste a posé une question sur NS sur l'histoire de l'appartement à Neuilly ?
Aucun à part un auditeur sur France Inter.
Rédigé par : TVnomics | mai 12, 2007 à 12:45 PM
quid de la nomination de 2 journalistes à l'Elysée ? remerciements pour services rendus pendant la campagne ou réel travail de lobbying auprès des rédactions ?
Rédigé par : jean-patrick | mai 30, 2007 à 08:56 AM
@ Eric
"un dispositif incluant Minc/Colombani pour faire de la propagande pro-Sarkozy..." Tu as lu l'édito de Colombani d'avant le second tour où il appelait à voter ROyal ? Dans le genre propagande pro-Sarkozy, on fait mieux...
Rédigé par : G.G. | mai 30, 2007 à 01:32 PM
Ces lignes ont en effet été écrites un peu avant quelques événements troublants : la nomination des 2 journalistes à l'Elysée en est un, sans parler de celle de Laurent Solly comme DGa de TF1.
Aujourd'hui, on parle à nouveau de pression chez Paris Match concernant des photos de famille de Rachida Dati que celle-ci aurait refusé de voir publiées.
De fait, au lieu de lever le doute, notre président choisit de l'entretenir !
Rédigé par : Danielle | mai 30, 2007 à 03:30 PM
G.G.: écrire un éditorial "cache sexe" quand on a fait trois mois de propagande sarkozyste, c'est un peu court! Mais n'en jetons plus: le peuple souverain a tranché!
Rédigé par : Eric | juin 04, 2007 à 11:12 AM